L’écossisme se construit au 18e siècle, d’un littoral à l’autre de l’Atlantique, dans un melting pot foisonnant de grades additionnels à celui de maître
Les premières traces de l’écossisme apparaissent dans les années 1730, suite à la généralisation du grade de maître. En quelques jalons, voici comment ce mouvement s’est amplifié, structuré et répandu dans le monde… et en Belgique.
1730 – 1740 – 1750 – 1761-71 – 1798-1801 – 1804 – 1817 – 1830 – 1855-71 – 1880 – 20e siècle – 21e siècle – Lectures
Années 1730 : les premiers pas
L’existence d’une Scotts’ Masons Lodge est attestée à Londres en 1733, à l’enseigne de la Devil Tavern, au cœur de Fleet street. D’autres apparaissent dans les années qui suivent à Bath, Londres, Bristol et Salisbury. Elles confèrent un grade supplémentaire, celui de Scott Master, à des maîtres maçons confirmés. Attention : la référence écossaise ne renvoie pas forcément à une origine géographique ; on peut y voir une manière de se revendiquer d’une tradition maçonnique ancienne et prestigieuse.
Apparu d’abord à Londres, le Maître écossais ne reste pas longtemps insulaire. Le grade est pratiqué en 1742 dans une loge anglaise de Berlin et mentionné à Paris en 1744. Le rituel de la loge berlinoise a été conservé. Il révèle des éléments qu’on retrouvera plus tard dans d’autres grades, notamment dans celui de Royal Arch, pierre angulaire du système progressif des Ancients. |
1740-1770 : le foisonnement français
Des loges de Maîtres écossais apparaissent dans toute la France dans un cadre plus ou moins structuré par la Grande loge de France. Ces loges développent un foisonnement créatif et dispersé de nouveaux grades en explorant différents thèmes : le temple de Salomon, l’architecture, la chevalerie, l’alchimie, etc. A cette époque, le terme écossais devient synonyme de « conféré après la maîtrise ».
Selon certains auteurs, c’est la diaspora jacobite qui a importé l’écossisme en France. Après la Glorieuse Révolution (1688), de nombreux partisans des Stuarts s’y exilent en effet et s’intègrent rapidement à leur terre d’accueil, notamment dans les armées du roi de France et dans le commerce triangulaire. Le seul fait étayé est qu’on retrouve effectivement des exilés jacobites dans beaucoup de loges-mères « écossaises », comme à Bordeaux, l’un des foyers français de l’écossisme. |
1750-1790 : la structuration
Ces grades écossais se structurent en « rites », c’est-à-dire en systèmes progressifs prolongeant la suite apprenti-compagnon-maître en un nombre variable de degrés. On compte une soixantaine de rites créés avant la fin du 18e siècle. Certains dans la tradition anglo-saxonne, comme le rite d’Hérédom de Kilwinning (5 degrés) ou le rite de l’ancienne maçonnerie d’York (13 degrés). D’autres dans la veine française, comme le rite des empereurs d’Orient et d’Occident (25 degrés), le rite écossais philosophique (12 degrés), le rite écossais primitif (5 degrés), le rite écossais rectifié (8 degrés) ou le rite du Grand Orient de France (7 degrés), appelé aujourd’hui rite français moderne.
Ces rites se diffusent en Europe et dans le monde par les voies commerciales, diplomatiques et coloniales. Ainsi, le rite d’York, développé par les Ancients, alors opposés à la Grand Lodge of England au nom d’une franc-maçonnerie plus authentique, se répand dans les colonies américaines de Grande-Bretagne où il est notamment introduit par des régiments irlandais. |
1761-1771 : le rite de perfection antillais
Etienne Morin (1717-1771), un marchand de vin et de porcelaines de Saint-Domingue, décide de propager l’écossisme dans les Antilles. Il est rejoint dans cette entreprise par Henri Andrew Francken (1720-1795), un fonctionnaire de justice britannique d’origine néerlandaise. Ensemble, ils structurent les rituels français dont ils disposent en un système de progression en 25 degrés qu’ils appellent rite de perfection. Ce rite se répand dans les colonies françaises et anglaises d’Amérique sous la houlette du Grand chapitre du Royal Secret constitué en 1770 à Kingston (Jamaïque).
Dans ses écrits, Etienne Morin base son entreprise de diffusion de l’écossisme sur une double autorisation. D’une part : une patente que la Grande loge de France lui aurait accordée en 1761 avant son retour à Fort-Royal. D’autre part : la mission que lui aurait confiée en 1762 le Grandmaster de la Grand Lodge of England, alors qu’il était retenu à Londres suite à l’arraisonnement de son bateau. |
1798-1801 : la naissance du rite écossais ancien et accepté
À Charleston, en Caroline du Sud, des responsables américains du rite de perfection décident de reprendre son organisation en main. Désireux de rassembler d’autres tendances de l’écossisme, notamment celle des Ancients, ils ajoutent de nouveaux grades aux 25 existants pour instituer une progression en 33 degrés. Et le 30 mai 1801, ils érigent le premier Supreme Council of the Thirty-third Degree, investi de la juridiction sur le territoire des États-Unis de ce qui s’appellera désormais l’ancient and accepted scottish rite.
Charleston est à cette époque le port principal du Sud des États-Unis et une escale commerciale très active, notamment dans la traite négrière. C’est également un important foyer maçonnique. Plusieurs rites s’y côtoient : celui des Ancients, celui de la Grand Lodge of England et le rite de perfection. C’est dans la Shepheard’s Tavern, au coeur du quartier portuaire, que le rite écossais ancien et accepté est fondé. |
1804 : le retour en France
Parmi les fondateurs du Supreme Council, il y a un militaire français, réfugié à Charleston suite à la révolution haïtienne : le comte Auguste de Grasse, marquis de Tilly (1765-1845). Celui-ci reçoit une patente du nouveau rite avec le titre de Grand Commandeur pour les Antilles françaises. De retour en France, il fonde, en octobre 1804, le Suprême conseil du 33e degré en France. C’est principalement par le biais des loges militaires que le rite écossais ancien et accepté se diffuse dans l’Empire, y compris dans les départements belges.
La centralisation napoléonienne ne laisse pas le nouveau rite longtemps indépendant. Le 5 décembre 1804, le Grand Orient de France et la Grande loge générale écossaise du rite ancien et accepté conviennent d’un Acte d’Union et Concordat. Dans les faits, il s’agit de rien moins que l’intégration du rite écossais ancien et accepté dans le giron du Grand Orient de France, seule structure maçonnique reconnue par le gouvernement. |
1817 : le Suprême conseil des Pays-Bas
Après 1815, les négociations visant à centraliser la franc-maçonnerie du nouveau Royaume-Uni des Pays-Bas s’enlisent. Les ateliers au rite écossais ancien et accepté entreprennent alors de se doter d’une juridiction. En mars 1817, la loge-chapitre bruxelloise des Amis philanthropes, qui compte de nombreux réfugiés français, crée son suprême conseil, sur la base d’une patente du Grand Orient de France. En réaction à cette initiative trop française, quelques loges-chapitres militaires, plus orangistes, érigent un autre suprême conseil, avec une patente délivrée par Auguste de Grasse-Tilly. Les deux juridictions finissent par fusionner en décembre 1817, pour créer le Suprême conseil des Pays-Bas, installé à Bruxelles.
Guillaume Ier veut une franc-maçonnerie unie et coupée de toute influence française. Mais les loges des provinces méridionales peinent à rallier le Grand Orient des Pays-Bas, recréé en 1816. En cause : leur attachement à l’ancienne obédience française, mais aussi la diversité des rites qui les empêche de parler d’une seule voix. Les efforts diplomatiques du gouvernement débouchent en avril 1818 sur la création d’une Grande loge d’administration méridionale, chapeautée par le Grand Orient des Pays-Bas. Le Suprême conseil, créé quelques mois plus tôt, en restera indépendant. |
1830 : le Suprême conseil de Belgique
Après l’indépendance belge, le suprême conseil bruxellois change de nom et devient le Suprême conseil de Belgique, tout en gardant la juridiction du rite écossais ancien et accepté sur les deux territoires. Il faut attendre mai 1913 pour que le grand commandeur belge puisse installer l’Opperraad van de Aloude en Aangenomen Schotse Ritus voor het Koninkrijk der Nederlanden, à La Haye.
La création du Grand Orient de Belgique, en 1833, provoque l’éclatement du paysage maçonnique belge. Certaines loges restent fidèles à leur obédience néerlandaise. D’autres ne veulent reconnaître aucune des deux structures. Il faudra attendre 50 ans pour que le Grand Orient de Belgique devienne une obédience centralisatrice. Des vicissitudes auxquelles le Suprême conseil échappe. |
1855-1871 : un chantier en expansion
Jusqu’alors, les rituels sont manuscrits et assez sommaires : une légende, une instruction et quelques indications de disposition du temple. En 1855, le Supreme Council de Charleston entreprend d’éditer des supports détaillés pour les 33 degrés. L’artisan de ce chantier est Albert Pike (1809-1891), Grand Commander de la juridiction Sud des Etats-Unis. Chantier qu’il clôture en 1871 avec la publication de son traité Morals and Dogma of the Ancient and Accepted Scottish Rite of Freemasonry. Ce triple exercice de standardisation, de méthodologie et de diffusion digne de la révolution industrielle est à l’origine du succès mondial du rite écossais ancien et accepté, qui supplante rapidement les autres rites.
Albert Pike n’achève son chantier qu’après la guerre de Sécession (1861-1865), à laquelle il prend part dans l’armée confédérée avec le grade de général. Fort de son expérience d’avocat spécialiste des droits des Amérindiens, il est chargé d’organiser les régiments constitués par les tribus alliées. En désaccord avec sa hiérarchie, il démissionne en 1862. Après la guerre, il quitte le Sud pour Washington où il reprend ses activités d’avocat. |
1880 : le traité d’amitié
En 1854, le Grand Orient de Belgique abroge l’article 135 de ses statuts qui interdit de parler de religion et de politique en loge. Cette mesure ne fait pas l’unanimité. Certains ateliers quittent le Grand Orient et rejoignent le Suprême conseil. 25 ans plus tard, dans un contexte de dépolitisation de la franc-maçonnerie, les deux structures se rapprochent et concluent un traité d’amitié. Celui-ci consacre une stricte séparation des rôles : les trois premiers degrés aux loges du Grand Orient ; les trente grades suivants aux ateliers du Suprême conseil.
Le traité d’amitié met fin au système des loges-chapitres, vestige de l’époque où les loges montaient en chapitre pour conférer leurs grades additionnels. En 1817, ces chapitres, pratiquant des rites divers, n’avaient pas été associés à la création du Suprême conseil, exclusivement dédié au rite écossais ancien et accepté. Ils étaient restés couplés à leurs loges sous l’obédience du Grand Orient des Pays-Bas, puis de Belgique. Mais au fil du 19e siècle, tous ont succombé à la marée du rite écossais ancien et accepté. Leur intégration au Suprême conseil devenait logique. |
20e siècle : le pluralisme
Le 20e siècle met fin au monopole du Suprême conseil sur l’écossisme belge. Celui-ci se divise progressivement en un kaléidoscope de juridictions.
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- 1912 – 11 ans après sa fondation en France, l’Ordre maçonnique mixte International du Droit humain (DH) s’installe en Belgique et y développe son système complet de progression au rite écossais ancien et accepté (REAA).
- 1961 – Première scission du Suprême conseil suite à la Question de la régularité. Une nouvelle juridiction se crée : le Souverain collège du rite écossais pour la Belgique (SCRE). Elle prend ses distances du REAA et développe son propre rite écossais (RE).
- 1969 – Deuxième scission du Suprême conseil, en raison des limites imposées au recrutement. Un nouvel avatar adogmatique s’en extrait : le Suprême conseil pour la Belgique (SCpB-69), qui continue à travailler au REAA.
- 1979 – Le Suprême conseil succombe à sa troisième scission et se sépare en deux branches. L’une dans la continuité régulière : le Suprême conseil pour la Belgique (SCpB-79). L’autre adogmatique : le Grand et suprême conseil pour la Belgique (Grasupco). Toutes deux travaillent au REAA.
- 1981 – Les loges de femmes créées en Belgique par la Grande loge féminine de France dans les années 1970 fondent une nouvelle obédience : la Grande loge féminine de Belgique. Un Suprême conseil féminin de Belgique (SCFB) lui est lié pour les grades additionnels, au REAA.
- 1982 – Un Grand Chapitre de la sainte Arche royale de Belgique est créé dans le cadre de la franc-maçonnerie régulière. Ses chapitres décernent un grade additionnel unique, celui de maçon de l’Arche royale, au rite du même nom (RAR).
- 1985 – Des francs-maçons flamands souhaitant développer l’écossisme dans la mixité fondent, hors juridictions, leurs propres chapitre, aréopage et conseil initiatique supérieur, à Gand.
- 1986 – Un Grand prieuré de Belgique (GPB) se crée dans l’orbite de la Grande Loge régulière de Belgique et y introduit le rite écossais rectifié (RER).
21e siècle : la diversité
L’écossisme belge confirme sa vitalité avec le maintien, voire le renforcement, de l’éventail de rites et de structures.
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- 2002 – Le SCpB-69 et le Grasupco se rapprochent et recréent le Suprême conseil de Belgique (SCdB). Cette fusion est refusée par certains ateliers, principalement liégeois, qui érigent leur Suprême conseil du rite écossais ancien et accepté pour la Belgique (SCpB-Lg).
- 2004 – De nouveaux ateliers mixtes travaillant au RE se créent hors juridictions, à Bruxelles et en Wallonie : 3 chapitres (2004, 2015 et 2023) et 3 aréopages (2009, 2022 et 2024).
- 2009 – Plusieurs francs-maçons belges participent à la renaissance des ordres de sagesse du rite français moderne (RF). Ce mouvement entraîne la création du Grand chapitre général de Belgique (GCGB) qui compte une dizaine de chapitres.
Quelques ressources en ligne :
Quelques lectures sur l’histoire de l’écossisme :
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- LOUIS TREBUCHET, De l’Écosse à l’écossisme. Les deux siècles fondateurs (1598-1804). Fondements historiques du rite écossais ancien et accepté, Marseille, Ubik Éd., 2015, Coll. « Fondations ».
- YVES-MAX VITON, Le rite écossais ancien et accepté, Paris, PUF, 2011, coll. « Que sais-je ? ».
- ALOÏS H.-L., Histoire du Souverain collège du rite écossais pour la Belgique, Paris, Éd. maçonniques de France, 2002, coll. « Cahiers maçonniques ».
- DAVID STEVENSON, Les origines de la franc-maçonnerie : le siècle écossais, 1590-1710, Paris, Éd. Télètes, 1993.